La Revue du Mauss

N° 61 | En Commun ! Éloge des institutions partagées

20.00

Le livre

Chacun connaît cette scène originaire qui ouvre la seconde partie du célèbre Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Jean-Jacques Rousseau : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. »

Dénonçant le « Ceci est à moi » du premier planteur de pieux, Rousseau dessinait, en creux, la société telle qu’elle devrait être : « Ceci est à nous. » Il nous rappelait ainsi, à travers cette fable, combien l’histoire humaine est contingente et ouverte à d’autres possibles. Parmi ces possibles s’affirme aujourd’hui un nouveau paradigme au sein duquel cherchent à se penser une démocratisation de la société et un dépassement des désordres et des hiérarchies imposés par le capitalisme : le paradigme des « communs ».

Les communs désignent une forme immémoriale de conception de la propriété, largement répandue, notamment jusqu’à la fin du Moyen Âge, lorsque, dans les campagnes, l’organisation coutumière des usages de la nature – pâturages, étangs, forêts – primait sur la notion de propriété. L’histoire rejoignant la fable, ces modes d’accès aux ressources déclinèrent à mesure que s’imposèrent les fameuses « enclosures » décrites par Marx, ces « décrets d’expropriation du peuple » au moyen desquels « les propriétaires fonciers se font eux-mêmes cadeau des biens communaux ».

Face à l’hégémonie du régime propriétariste, radicalisée par les nouvelles enclosures promues par les politiques de privatisation et de marchandisation néo-libérales, l’originalité du paradigme du commun est de dépasser les dichotomies classiques opposant propriété privée et propriété publique, régulation marchande ou étatique, ainsi que les formes de domination qui résultent de l’appropriation des ressources naturelles et des moyens de production. Comme le montrent de multiples expériences contemporaines, et notamment les travaux du prix Nobel d’économie, Elinor Orstrom, partout dans le monde, des communautés sont capables d’organiser durablement des « règles d’usage » afin de garantir à la fois la survie des habitants et la préservation d’un réservoir de ressources pour les générations suivantes.

C’est ce paradigme alternatif et ces expériences foisonnantes que ce numéro propose d’interroger, tant pour en souligner la richesse que les conflits qu’ils suscitent. En effet, très polysémiques, le ou les « communs » constituent l’un de ces concepts essentiellement contestés dont le milieu militant s’est saisi comme d’une bannière pour des initiatives diverses et, parfois, divergentes, et dont les chercheurs tentent de délimiter les contours dans les domaines économique, juridique, politique, anthropologique et philosophique. Qu’il s’agisse des communs numériques, environnementaux, urbains mais aussi des communs politiques ou de la redéfinition de la notion même d’entreprise, l’espace de débat et de controverses qu’ouvre ce numéro se veut résolument pluraliste, comme les formes, plurielles, de propriété qu’appelle une démocratie radicale.

 

Sommaire Revue du Mauss semestrielle n°61

Philippe Chanial, Pierre Cretois, Édouard Jourdain – Présentation

 

Les communs d’abord. Faut-il en finir avec l’ordre propriétaire ?

Pierre Dardot, Christian Laval – Pour une cosmopolitique des communs

Édouard Jourdain – Au-delà du marché et de l’État ? Elinor Ostrom et l’institution des communs

Pierre Cretois – La copossession du monde

Laurence Kaufmann – La quadrature du cercle. Commun, communauté et immunité

 

Ce que p@rtager veut dire : les ambivalences des communs numériques

Entretien avec Michel Bauwens, Recueilli par Pierre Cretois – La pulsation des communs

Marion Fourcade, Daniel N. Kluttz – Un « marchandage » maussien ? L’accumulation par le don dans l’économie numérique

Dave Elder-Vass – Commerce, communauté et dons numériques

 

La Terre en partage ? Penser et gouverner les communs naturels

Serge Latouche – Communs, bien commun et décroissance

Harry Walker – Une égalité sans équivalence. Pour une anthropologie du commun

Thomas Perroud – Les biens communs naturels et la reconceptualisation des propriétés

Pierre-Yves Cadalen – Détruire les communs environnementaux ou dépasser le système-monde ? Pour un matérialisme du mouvement

Alexandre Monnin – Capitalisme de la fermeture et communs négatifs

 

Quelle démocratie des communs ?

Jean-François Draperi – L’associatisme médiéval au-delà des enclosures. À l’origine des communs, des collectivités territoriales et de l’ESS

Alice Ingold – Désenclaver l’histoire des Communs de l’histoire de l’État des Modernes. Associations syndicales de propriétaires entre « droit social » et « domestication administrative »

Benoît Borrits – Entre marché et État, la Sécurité sociale, un commun inachevé

Daniela Festa – La ville entre innovation sociale et « communification »

Pierre Sauvêtre – Governing for the commons. Les communs, l’État et le gouvernement de moindre souveraineté

Guillaume Le Blanc – Utopies sobres. La politique des communs des éprouvés

 

Ricochets

Paulo Henrique Martins, Traduit par Philippe Chanial – Sortir du « bassin des âmes ». Le Brésil face au néolibéralisme et au radicalisme de droite

François Bordes – Hormis le territoire. Sur Les Ombres opposées de Nicolas Cavaillès

Jean-Marc Ghitti – Paul Valéry. Au-delà de la poésie : la poétique

 

Varia

Christophe Petit – Quand le travail de prédation tue le travail de production

Frédéric Vanderberghe – Le corps-continent. Hommage à David Le Breton

Baptiste Rappin – La Responsabilité sociale de l’entreprise à l’aune de l’histoire de la propriété. Une analyse à partir de l’œuvre de Michel Freitag

François Provenzano – Le Parrain : sociologie du don, rhétorique du Don et ethnographie du migrant

 

Bibliothèque

J. Anselmini, A. Caillé, Philippe Chanial, E. Conesa, Pierre Cretois, Édouard Jourdain, S. Pasquier, F. Robertson, F. Villain-Carapella – Bibliothèque

 

Informations complémentaires

Format

16,5 x 23

ISBN

9782356879417

Pages

260

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