Jean Yssev

Le Tabouret

12.00

Elle était un  » engin  » comme disait Marie. Un engin qui roulait le long du mur, un engin sans bras, ni jambes et dont le seul organe sensitif était un tout, un corps, un amas de chair molle monté à la verticale. Le dossier l’appelait Fatima. Sa mère aussi. Son père ne parlait jamais d’elle en prononçant son prénom, il disait :  » ma fille « , ou il se taisait. Puis il était parti au Koweït avec la majorité des bagages. Sa femme m’indiqua au téléphone que lorsqu’il reviendrait,  » bientôt « , elle le suivrait…
Fatima ne venait plus chez eux. Deux week-ends sans la voir. Et elle, la mère, et aussi Nadia avaient pleuré. J’avais raconté cela à Marie et elle avait souri.
Moi, je voyais un peu plus souvent Fatima. Je pensais qu’elle finirait par ressentir ma présence.
Je savais que son seul organe réceptif était son sexe. Je compris soudain que je ne toucherais plus jamais un homme, ni une femme. Je pensais à Fatima, à son sexe qu’elle ne pouvait atteindre. Je pensais qu’elle était stérile et je me mentais. Un peu comme on rêve aux choses interdites quand on est gosse et pauvre…
Soudain je fus rassuré : son bras gauche était normal. Elle aurait pu saisir ma queue. Je pensais à la mort et à chaque instant il était minuit.

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