Le Bord de l'Eau

Marianne | Germinal #1

« Germinal », la revue qui veut réconcilier république, socialisme, écologie et nation

La nation peut-elle être une solution à la mondialisation néolibérale, génératrice de précarité et d’inégalités, et à la montée des peurs identitaires ? C’est ce qu’affirme la revue Germinal dans son premier numéro dédié au « Retour des nations » et dans lequel ont contribué des penseurs comme David Djaïz, Gabriel Zucman, Dani Rodrik ou encore Dominique Schnapper. Rencontre avec deux des fondateurs, Nathan Cazeneuve et Marion Bet.

Marianne :  Il semblerait que les revues aient aujourd’hui plus de mal à exister, en témoigne l’arrêt du Débat. Pourquoi lancer une revue en 2020 ?

Nathan Cazeneuve :La gravité de la crise sociale et environnementale à laquelle nous faisons face appelle un engagement renouvelé auquel la revue Germinal entend contribuer par un travail de réflexion sur les formes d’un socialisme écologique dont nous avons aujourd’hui besoin.

À l’ère de l’accélération de l’information, la revue permet au contraire un travail au long cours, nécessaire pour comprendre la complexité de l’échec de la mondialisation libérale et  de la crise environnementale au travers d’une réflexion pluridisciplinaire qui associe chercheurs et acteurs sociaux.

Les difficultés auxquelles sont confrontées les revues sont également celles qui affectent le discours politique. Prises dans une injonction contradictoire entre des temporalités et des modes de communication inconciliables, les revues souffrent également de l’absence de liens entre la recherche et l’action politique, alors que nous avons plus que jamais besoin d’un dialogue entre réflexion théorique et action.

Une revue émerge toujours dans un cadre historique, politique, social et culturel précis, qui en justifie la raison. Or nous arrivons au bout d’un cycle qui explique les recompositions auxquelles nous assistons. L’horizon présent est celui des liens de solidarité qu’il nous faut tisser dans nos sociétés et avec notre environnement. »Cette dynamique sociale et idéologique explique la force des réactions communautaires et populistes »

Nous assistons depuis quatre décennies, sous l’effet du développement de la mondialisation libérale, à une dynamique de dislocation sociale dont nous ne pouvons que mesurer les effets délétères. Le chômage de masse ne cesse de s’accroître, la société se fracture sous l’effet d’inégalités toujours plus fortes, la destruction des écosystèmes atteint un niveau effarant. La constitution d’un libre marché mondial et la financiarisation de l’économie ont mis un terme aux compromis sociaux qui assuraient la relative stabilité de nos sociétés depuis l’après-guerre, et détruit nombre de médiations sur lesquelles reposait le lien social (plein emploi, indexation des salaires sur l’inflation…). À cela vient s’ajouter l’affaiblissement stratégique des nations européennes au sein de la mondialisation.

Cette situation est en grande partie le résultat des politiques libérales qui ont promu la constitution d’un libre marché mondial. Nous avons cru pouvoir espérer de la mondialisation économique une amélioration sans heurts des conditions matérielles de nos sociétés que nous avons en réalité payée au prix de la considération de la justice sociale et de l’environnement. Dans les sociétés occidentales, cette dynamique a engendré un chômage de masse et augmenté les inégalités, tout en assurant la diffusion d’un capitalisme sauvage dans les sociétés en développement, aussi peu respectueux des hommes que de l’environnement. De tels résultats sont révélateurs des limites du discours libéral qui ne voit dans la société, et dans l’économie, qu’un agrégat d’individus et ignore autant les processus de socialisation que les modes de rapport à l’environnement qui se trouvent rattachés aux formes de l’échange et de la production.

Cette dynamique sociale et idéologique explique la force des réactions communautaires et populistes, ainsi que la crise de nos institutions démocratiques. Les discours identitaires et le communautarisme apparaissent comme de dangereux palliatifs qui, par la création de solidarités closes, approfondissent en réalité la division de la société et nous aveuglent sur la nature des périls qui nous font face. Quant à la réaction populiste, qui exprime une colère souvent légitime, elle est davantage un symptôme qu’un remède en ce qu’elle révèle au grand jour des antagonismes sociaux sans pour autant se donner les moyens de les corriger. La force de cette réaction est le signe que nos institutions démocratiques souffrent de leur incapacité à exprimer de manière réflexive les dynamiques sociales qui affectent la majorité de la société, et d’y apporter des réponses.

Si nous voulons sortir de l’impasse et ne pas nous résigner à la violence, nous devons penser une autre voie pour nos sociétés dont le socialisme écologique constitue l’horizon. Son fondement repose sur le fait que les relations économiques ne peuvent être envisagées indépendamment des formes de socialisation qu’elles produisent et que celles-ci doivent donner lieu à des rapports de justice et non de division, à des solidarités des hommes entre eux et avec leur environnement.

« Germinal » est-ce une référence au roman de Zola ou au calendrier républicain (septième mois – NDLR) ?

Marion Bet : Ce nom a été choisi pour trois raisons : d’abord pour illustrer notre ambition républicaine, au travers du rappel du mois printanier du calendrier révolutionnaire de 1792, symbole de liberté politique, d’égalité des droits et de responsabilité sociale. Ensuite pour évoquer notre aspiration socialiste, à travers l’histoire des luttes ouvrières effectivement représentées par Zola, dans son cycle romanesque des Rougon-Macquart. Enfin, il y a dans Germinal un symbole écologique avec l’image printanière de la germination, force de régénération et signe de vitalité. Ce nom présage, nous l’espérons, du dialogue fructueux qui émergera d’une part entre la revue et l’opinion publique, les acteurs politiques et les citoyens en général, de même qu’entre les sciences sociales au sein de la revue. »La « République sociale et écologique » entend réconcilier des préoccupations qui ont été jusqu’ici séparées, parfois mises en opposition »

Vous défendez « la République écologique et sociale ». Qu’entendez-vous par-là ?

M.B. : Il se trouve que ces trois mots souffrent aujourd’hui d’un impensé qu’il convient d’interroger et de dépasser. Les termes république ou républicain, en particulier, semblent être devenus des signifiants vides, passe-partout, alors qu’ils ont un sens et une épaisseur historique décisive. Cela explique qu’ils soient régulièrement galvaudés, ou utilisés de manière impropre.

Concrètement, le républicanisme de Germinal s’exprime par notre attachement aux institutions publiques en tant qu’elles garantissent l’égalité des droits et assurent des mécanismes de solidarité sociale. La République est donc un horizon : il y a encore beaucoup de progrès à faire de ce côté-là. C’est aussi l’ambition de faire entendre les plus démunis dans le débat citoyen, et de réaliser ainsi un idéal de démocratie délibérative et participative. Le fait est que tout le monde s’accorde sur ce projet, mais sa réalisation reste le plus souvent lettre morte…

Prise dans son ensemble donc, la « République sociale et écologique » entend réconcilier des préoccupations qui ont été jusqu’ici séparées, parfois mises en opposition. Pourtant, on voit mal comment on pourrait élaborer une justice environnementale plus ambitieuse sans un surcroît de justice sociale, et inversement… Nous savons aujourd’hui que les premières victimes du dérèglement climatique seront (et sont déjà !) les plus démunis, raison pour laquelle nous ne pouvons rester passifs. Mais nous savons aussi que la mise en place d’une économie décarbonée transformera en profondeur certains secteurs comme l’industrie, et donc le marché du travail. Il faut accompagner cette transition qui, si elle est mal pensée ou encadrée, pourrait se répercuter à court terme sur les plus fragiles. La relance écologique peut être créatrice d’emploi, mais à condition qu’on s’en donne les moyens. C’est cette échelle de complexité que tente d’apprécier Germinal, afin de penser un socialisme écologique ambitieux, qui ne renonce pas à l’un des deux termes. Et la « république écologique et sociale » exprime ce souci de transversalité. »Défendre la République aujourd’hui, c’est donc affirmer l’importance de la communauté humaine et des citoyens face au repli identitaire »

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