Le Bord de l'Eau

Franck Dubourdieu | Mort et Renaissance du Vin de Bordeaux. Chroniques d’un naufrage

« Il mérite d’être lu par toute personne qui s’intéresse au vin de Bordeaux, professionnel ou amateur. »

Sébastien Darsy journaliste à Sud-Ouest, vient d’écrire un livre remarquable « Mort et Renaissance du Vin de Bordeaux. Chroniques d’un naufrage. Le Vignoble réinventé », aux Éditions le Bord de l’Eau » 2023.

Il mérite d’être lu par toute personne qui s’intéresse au vin de Bordeaux, professionnel ou amateur.

Observateur attentif du vignoble bordelais depuis 20 ans et signataire de nombreux articles sur le sujet, Sébastien Darsy est à même de jeter un regard objectif sur les faits qui ont accompagné ce naufrage et d’en tirer un enseignement pour l’avenir.

J’ai avalé cet ouvrage très bien écrit en deux soirées. La première gorgée, acide et amère (103 p.), retrace par le menu, cette descente aux enfers. La seconde (125 p.), d’un goût délicieux, conte le parcours aussi singulier que courageux, de vignerons convertis à l’Agriculture Biologique (AB) qui ont participé à la « Renaissance du vin de Bordeaux ».

La mort annoncée du vignoble se profile depuis 1990 et prend une dimension inéluctable à partir des années 2015. Sur un fond de productivisme appuyé par l’utilisation aveugle des pesticides de synthèse, « Bordeaux n’a jamais cessé d’encourager son déclin ».

Une guerre totale entre Bio et anti-Bio, émaille tristement l’actualité viticole nationale et plus particulièrement bordelaise : le scandale du Glyphosate et les lourdes condamnations de Monsanto, le procès de Paul Francois vigneron intoxiqué par un pesticide, l’évacuation de l’école de Villeneuve dans le Blayais suite à des épandages viticoles, la suspicion d’une fréquence anormale de cancers pédiatriques à Preignac en Gironde, les tribulations de la commune de Parempuyre pour construire un collège à côté des vignes, le sit-in des militants anti pesticides lors de l’inauguration de la Cité du Vin par François Hollande, le combat de Valérie Murat contre le faux label écologique « Haute Valeur Environnementale » qui n’interdit pas les pesticides de synthèse… Des articles dans la presse nationale et des enquêtes à charge à la télévision (Cash Investigation…) révèlent le danger des pesticides de synthèse : plusieurs maladies graves sont recensées comme maladies professionnelles par la Mutualité Sociale Agricole. Tout cela va lentement instiller le Bordeaux Bashing : la désaffection – hormis les Grands Crus Classés (GCC) et assimilés – des acheteurs pour le vin de Bordeaux. Cette situation désespérée est accentuée par une vive concurrence européenne et mondiale des pays producteurs et particulièrement en France, par l’appel à la sobriété porté par le corps médical et les ligues antialcooliques.

La situation devient catastrophique à Bordeaux, certains vignerons vendent au négoce la bouteille AOC Médoc à moins de 2 € HT et leur vin en vrac à moins d’1€ HT le litre !

Un premier recours contre cette descente aux enfers consiste à distiller les invendus pour gagner un peu d’argent et faire de la place pour la nouvelle récolte. Nombre d’entre eux, en situation de faillite, n’ont plus que celui de l’arrachage subventionné (10000 ha), « la destruction de l’outil de travail » ! « Les institutions dirigeantes du vin de Bordeaux, conscientes qu’elles étaient assises sur une bombe à retardement, n’ont pu échapper à la tempête médiatique » qui lentement a détruit l’image du vin de Bordeaux.

Pour l’auteur, la renaissance du vignoble passe par une réforme totale des modes de production. À partir de 1995 – la page 223 recense la chronologie des certifications bordelaises jusqu’en 2021- des pionniers n’écoutant pas les sirènes du productivisme, choisissent une voie opposée. De petites surfaces, moins de 20 ha en général, la conversion à l’AB voire à la Biodynamie (BD). Ces pratiques éco-responsables et respectueuses de la santé (des travailleurs de la vigne, des voisins et des consommateurs) s’accompagnent de la volonté affichée de produire la meilleure qualité possible. A la différence de l’Alsace et de la Bourgogne, les GCC bordelais ont du retard à l’allumage pour s’engager dans la transition écologique. Il est à noter qu’Alfred Tesseron propriétaire du château Pontet Canet, assisté de Jean Michel Comme, est le premier des GCC rouges à se convertir à l’AB en 2007. Cet exemple louable est peu suivi par ses confrères, à part les châteaux Fonroque (2005), Canon La Gaffelière et Palmer (2011). Depuis ces dernières années, sous la pression sociétale et médiatique, plusieurs GCC rouges dont château Ausone, sont désormais certifiés ou en conversion.

Ce changement de paradigme viticole n’est pas sans difficulté ; il faut bien reconnaitre que tout le monde n’est pas capable d’abandonner brutalement l’assistance par la chimie tant la vigne a perdu toute autonomie de défense.

La parade, par l’Interprofession est la promotion du label Haute Valeur Environnementale (HVE), mettant en place, d’après Dominique Techer, vigneron AB depuis 1997 au château Gombaude Guillot à Pomerol, « un plan de communication verdissant à base de certifications éco-responsables trompeuses ». Le label HVE, chanté comme « le summum de l’écologie », devient finalement « le sigle le plus conspué par les anti-pesticides ». Si la majorité des vignerons conventionnels se précipite vers cette issue de secours et affiche ce sésame sur les flacons, les consommateurs ne suivent pas. Les cavistes, qui sont les relais des vignerons sur le sol national, ne marchent pas dans la combine, « aucun caviste bordelais sérieux et indépendant ne mentionne le label HVE auprès de ses clients » ; au contraire et à juste titre, font la promotion des vins en AB et en BD.

La guerre contre les vignerons AB continue. Inspirée par l’industrie chimique de synthèse qui voit le marché AB lui échapper, la frange majoritaire des conventionnels et les dirigeants politiques trouvent un nouveau prétexte à la non conversion AB en accusant les vignerons Bio de polluer le sol avec du cuivre contenu dans la bouillie bordelaise (mélange de sulfate de cuivre et de chaux). « S’il a été combattu, c’est qu’il est la seule arme antimildiou efficace utilisée par les vignerons AB ». Ce biais pour les culpabiliser et freiner leur progression aboutit à une limitation de son usage. Mais en même temps, l’étude Novasol, commanditée par les plus grands domaines AB français, vient disculper le cuivre comme polluant des sols. Ainsi, est réhabilité l’unique remède des vignerons AB, inventé à Bordeaux en 1876 par Alexis Millardet et Ulysse Gayon. La guerre du cuivre trouve, ici même où fut découvert le mélange miracle, un épilogue heureux.

De ce combat fratricide, les vignerons vertueux sortent vainqueurs, incarnant aujourd’hui ce que l’auteur nomme « le Bordeaux retrouvé ». Le consommateur a finalement tranché et la progression du vignoble AB à Bordeaux est fulgurante ces dernières années. Sa surface passe de 5% en 2014 (alors que la surface moyenne française de l’AB viticole est de 8%) à 23% en 2022 (21,5% pour le vignoble français).

Plus de 1000 vignerons AB peuvent s’honorer de ce « Bordeaux réinventé ». « Le salut du vignoble est venu des vignerons eux-mêmes » afin de renouer avec le Bordeaux Loving d’antan.

J’ai voulu rendre un hommage appuyé à Sébastien Darsy et à la grande qualité de son travail de journaliste. Cette exégèse ne reflétant que quelques parcelles de ce livre, je vous encourage à l’acheter.

 

Franck Dubourdieu